Raréfaction

Avant de parler de raréfaction, il est nécessaire de faire le point sur le mode de consommation humain des ressources, qu'elles soient renouvelables (agriculture, sylviculture, pêche) ou non (pétrole, gaz et charbon, phosphate, métaux).
Dans notre société, qui depuis la révolution industrielle, est mue par la croissance, nous consommons chaque année plus d'énergie et de matières premières que l'année précédente. A partir du moment où le stock initial n'est pas illimité, ou bien la vitesse de renouvellement du stock est inférieure à la vitesse de consommation humaine, alors le stock initial décroît.
Les ressources les plus faciles d'accès étant exploitées en premier, plus le stock décroît, et plus les ressources restantes sont compliquées à extraire ou à produire... jusqu'au moment où la mise en fonctionnement de nouvelles capacités de production devient insuffisante pour répondre à l'augmentation de la demande.
Cela se traduit d'abord par une augmentation de la production moins rapide que celle escomptée, puis par une stagnation, et enfin par un déclin, entraînant avec lui la consommation. C'est la décroissance, et le commencement de l'ère de la rareté pour les ressources non renouvelables à échelle humaine : Le prix de ces ressources est alors destiné à grimper indéfiniment.

Le pic, qui peut également se présenter sous la forme d'un plateau, c'est la période pendant laquelle la production stagne, et c'est le préalable systématique au déclin. Cette période est déjà terminée pour le pétrole conventionnel, et elle s'approche à grands pas pour le gaz.

1. Le pic du pétrole déjà atteint

1.1. Notions de réserves de pétrole

Source d'information : IFP Énergies Nouvelles (ancien Institut Français du Pétrole)

1.1.1. Comment est stocké le pétrole

Contrairement à l'image que l'on peut en avoir, le pétrole ne se trouve pas stocké dans des bidons naturels, attendant gentiment de se faire siphonner jusqu'à la dernière goutte par le premier puits de pétrole creusé. Au contraire :
  • Le pétrole se trouve stocké dans une espèce "d'éponge naturelle" qu'il nous est impossible de presser.
  • Sur la totalité du pétrole stocké dans cette "éponge naturelle", seul 1/3 du stock est actuellement récupérable (en moyenne).

1.1.2. Ressources et réserves

  • Ressources : Tout ce qui se trouve dans le sol (contient donc les réserves).
  • Réserves : Ressources qui ont X% de chance d’être exploitées dans les conditions technico-économiques du moment et avec les puits déjà existants ou en cours de construction.
    • Possibles : 10% de chance
      Analogie : On sait qu’il y a un lac avec de l’eau dedans. Quelqu’un a indiqué qu’il y avait des poissons dans le lac, mais on n’en est pas sûr. On peut aller sur l’eau pour vérifier, mais on peut tout aussi bien faire une partie de backgammon.
    • Probables : 50% de chance
      Analogie : On sait qu’il y a des poissons dans le lac, on les voit, on a même réussi à en pêcher quelques-uns, mais c’est insuffisant pour en vivre.
    • Prouvées : 90% de chance
      Analogie : On a mis les filets à l’eau et on voit que les poissons s’y prennent facilement. On attend le moment où on aura faim pour les relever.
    • Ultimes : Déjà extraits + Prouvées + Probables


1.2. Variabilité des réserves

Source d'information : Principalement la conférence "Vers un Déclin de la Production Pétrolière" donnée par Jean Laherrère lors d'un colloque "Énergie et développement durable" à l'Institut Supérieur Industriel de Bruxelles.

A force d'entendre depuis 20 ans qu'il n'y avait de réserves de pétrole que pour 20 ans, le message consistant à prévenir l'humanité de l'imminence du pic de production du pétrole a fortement été atténué. Pourtant, ce n'était pas crier au loup que de prétendre voir arriver la fin de l'ère pétrolifère. Tout dépend des réserves considérées (prouvées ? probables ? possibles ?), des hydrocarbures pris en compte et des intérêts de certains pays producteurs.

Effectivement, les réserves prouvées ont augmenté depuis 1970, mais les réserves totales ont, elles, bien diminué !

1.2.1. La réévaluation du stock contenu dans les différentes réserves

Reprenons la définition des réserves : Ressources qui ont X% de chance d’être exploitées dans les conditions technico-économiques du moment et avec les puits déjà existants ou en cours de construction.
  • Technico : Avec le temps qui passe, de nouveaux puits ont été construits, et certaines technologies de forage ont été perfectionnées. Les pourcentages de chance d'exploitation de certaines ressources "dans les conditions technico-économiques du moment et avec les puits déjà existants ou en cours de construction" augmentent. Ainsi une certaine quantité de pétrole appartenant aux réserves probables peut basculer dans les réserves prouvées. Le pic pétrolier, si son évaluation se base uniquement sur les réserves prouvées, est alors décalé d'autant dans le temps. 
  • Économique : De même, la variation du prix du baril de pétrole liée à l'activité économique (loi de l'offre et de la demande), influe sur les réserves considérées. Dans une période où la demande est forte (croissance) ou la production est faible (épuisement avancé des ressources), le prix du baril augmente, ce qui induit un accroissement des réserves de pétrole dont l'exploitation est économiquement intéressante. Dans une période où la demande est faible (ralentissement économique, voire récession), le prix du baril diminue, ce qui rend économiquement inexploitables certaines réserves. Notons qu'un épuisement avancé des ressources entraîne lui-même une récession de l'économie mondiale, le PIB étant intimement lié à la production de ressources pétrolières. Dans cette situation, le prix du baril devient extrêmement volatil, et fluctue suivant le facteur prépondérant.


1.2.2. La nature du pétrole pris en compte

Le pétrole brut peut inclure le condensat, les liquides de gaz, le conventionnel ou non (gaz de schiste par exemple), l’huile synthétique et le gain de raffinerie. Suivant la définition que l'on choisit, les quantités disponibles peuvent varier de quelques pourcents.

1.2.3. Intérêts financiers

Les pays de l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) ont établis depuis 1986 des quotas de production de pétrole par pays qui dépendent du stock dont dispose chaque pays. Plus le stock est important, plus le quota attribué l'est aussi.
Il peut alors arriver à certains pays producteurs de surévaluer artificiellement leur stock afin de voir leur quota augmenter, et donc leur manne financière. L'on a assisté de 1987 à 1990 à une quasi doublement des réserves des pays de l’OPEP (+300 Gb) sans découverte majeure. De la même manière, si certains pays producteurs décident de limiter l'offre afin d'augmenter le prix de vente du baril de pétrole, il leur "suffit" de réviser leur stock à la baisse, ce qui réduira leur quota de production, et donc le volume de pétrole disponible sur un marché déjà fort contraint par la demande.

1.2.4. Impact quasi-nul des nouvelles découvertes et mises en production

Je cite M. Laherrère : "Il faut rappeler que l’addition d’un milliard de barils aux réserves ultimes retarde le pic de seulement une semaine (ordre de grandeur de l’unité d’un champ). Le plus grand champ du monde, Ghawar, a des réserves (ultimes) de 115 Gb avec un taux de récupération de 60%. L'Arabie Saoudite a les plus grandes réserves prouvées au monde, avec 261,8 Gb selon la revue BP (près du double que le pays suivant, l'Irak). La découverte d'une réserve de la taille de celle de l'Arabie Saoudite prolongerait le ratio R/P (Réserves restantes / Production) de moins de dix ans !".
De la même manière, Peter Voser, le pdg de Shell, a indiqué dans le Financial Time du 21 septembre 2011 qu'il faudrait que le monde ajoute l'équivalent de quatre Arabie saoudite (sic) ou de dix mers du Nord dans les dix prochaines années rien que pour maintenir l'offre à son niveau actuel, avant même un quelconque accroissement de la demande.
Contrairement à la rumeur médiatique, l'exploitation des gaz et pétrole de schiste ne change rien à la tendance générale, présentée dans le paragraphe suivant. Depuis plus de trente ans, les estimations des réserves tiennent compte des ressources non conventionnelles. L'effervescence actuelle autour de ces prétendues "nouvelles découvertes" n'est que momentanée, à l'image de l'exploitation de ces ressources, dont la production décroît très rapidement et fortement. Le problème n'est pas la taille des réserves, mais la taille du robinet !


1.3. Estimation des réserves ultimes

1.3.1. Courbe d’écrémage

Cette courbe correspond à la loi des rendements décroissants en exploration minière. Exprimé simplement, plus le  nombre de puits d'exploration est grand, plus la quantité de pétrole découverte par nouveau puits creusé diminue. En traçant la courbe des découvertes cumulées en fonction du nombre cumulé de puits d’exploration (New Field Wildcat), on peut en déduire une valeur limite des découvertes cumulées lorsque le nombre de puits d'exploration est très grand. Cette valeur limite correspond aux réserves ultimes du site exploré.

1.3.2. Courbes d’exploitation

S'il n'y avait que 3 dates à retenir à propos du pétrole, ce seraient celles-ci :
  • 1960 : Pic des découvertes ;
  • 1980 : Au delà de cette date, la consommation devient supérieure aux découvertes ;
  • 2010-2015 : Pic de production (sur la seconde courbe) ;

La courbe ci-dessus, établie à partir de données fournies par ExxonMobil, n'est basée sur les données de production n'allant que jusqu'à 2002. En voici une autre publiée en 2007, extrapolée par Fredrik Robelius dans sa thèse "Giant Oil Fields – The Highway to Oil", dont le tuteur était le Président de l'ASPO (Association pour l'étude des pics de production de pétrole et de gaz naturel), K. Aleklett, ce qui donne un certain crédit à ses travaux.

Résumons-nous

Nous sommes quasiment arrivé à la moitié de la consommation du stock total de pétrole, au delà de laquelle il est quasiment impossible d’augmenter le niveau de production, pour des raisons purement physiques (et en particulier, parce que le pétrole le plus facile d’accès a été pompé en premier). Nous sommes probablement en train de passer le pic de production du pétrole, sans nous en rendre compte, obnubilés que nous sommes par les crises financières, économiques et sociales.



2. Le pic du gaz, pas encore atteint mondialement

2.1. Le gaz, un marché local

Le transport et le stockage de gaz est plus complexe à mettre en œuvre que celui du pétrole (Liquéfaction, maintien sous pression, gazéification). Cela induit des coûts supplémentaires proportionnels à la distance parcourue par le-dit gaz. En effet, le coût de transport du gaz est 5 à 6 fois plus cher que celui du pétrole.

De même, pour le pétrole les coûts de transport représentent 10% à 15% du coût de production, pour le gaz c'est l'inverse : le coût de transport peut représenter jusqu'à 10 fois le coût de production ! Ce coût de transport élevé comparé au coût de production empêche le gaz de faire l'objet d'un vrai marché mondial, comme pour le pétrole ; seulement 22% du gaz extrait dans le monde passe une frontière avant d'être consommé (alors que c'est le cas pour les 2/3 du pétrole). (Dixit Jean-Marc Jancovici)


2.2. Les pays exportateurs de gaz vers la France

Source d'information : INSEE

Si le marché est tellement local, alors pour connaître les tendances de disponibilité gazière française, il suffit d'identifier nos sources d'importation :

2.3. Le pic du gaz pour bientôt en France

Source d'information : BP statistical review of the world energy 2013 workbook

Prenons nos quatre plus gros fournisseurs en gaz, et examinons leurs réserves (prouvées) restantes et la vitesse de consommation de leur stock.

Le plus gros stock est de loin celui de la Russie, avec environ 38 GTep, ceux des Pays-Bas, de la Norvège et de l’Algérie étant évalués à quelques GTep chacuns. C’est donc la production de la Russie qui va conditionner la disponibilité énergétique en Europe, et à fortiori, en France :
  • 1985 : 1% des réserves prouvées de gaz russe consommé
  • 2010 : 35% des réserves prouvées de gaz russe consommé
La courbe de production n’étant pas linéaire sur le stock, croissance oblige, on peut s’attendre à voir la baisse de disponibilité en gaz Russe d’ici 2025. De plus, la Russie représente à elle seule 25% des réserves mondiales, il y aura donc un report progressif de différents pays sur le gaz Russe, une fois leurs autres sources épuisées.

De même que nous sommes sur le point de passer le pic de production de pétrole, nous sommes à l'aube du pic de production de gaz.


3. Le charbon, une solution temporaire à notre gloutonnerie énergétique ?

Source d'information : BP statistical review of the world energy 2013 workbook

Le charbon, il y en a moult, mais son impact sur le climat est loin d'être neutre (euphémisme). On notera que la consommation du charbon n'a fait que croître depuis le début de son utilisation, et que le stock mondial est tellement important qu'il pourrait permettre cet état de fait pendant encore plusieurs décennies, comme le montrent les courbes ci-dessous (le démarrage des courbes à 0% est totalement arbitraire, ne connaissant pas la quantité déjà consommée de chacune des énergies fossiles avant 1965 pour le pétrole et le gaz, et avant 1980 pour le charbon).

Eh oui, le charbon est la source d'énergie de l'avenir la plus probable. D'ailleurs, pour être franc, le charbon est déjà quasiment notre source d'énergie (à l'échelle mondiale) la plus importante...

Nous ne connaissons aujourd'hui aucun substitut de pétrole équivalent financièrement et énergétiquement, mais ce qui pourrait s'en rapprocher serait pétrole de synthèse à partir de charbon. En effet, il est possible de créer de “l’essence” avec du charbon, ce qui a été fait par les nazis pendant la seconde guerre mondiale. Dans l'hypothèse d'un tel basculement, il est très improbable que le climat de la fin du siècle ressemble en quoi que ce soit à celui d'aujourd'hui (et pas en mieux).

Le pic de production de charbon est encore à de bonnes dizaines d'années devant nous, mais c'est l'énergie fossile la plus émissive en terme de gaz à effet de serre, une des plus polluantes et des plus mortelles...

Source : Un article dans The Lancet (Il faut s'identifier pour visualiser l'article. L'inscription est gratuite.).

4. Le nucléaire, une solution à long terme ?

Source d'information : CEA

Concernant le nucléaire, le rythme de consommation actuel est d'environ 60 ktU/an (milliers de tonnes d'uranium par an), pour des réserves prouvées estimées à 4000 ktU, soit environ 70 ans de consommation actuelle.
Cependant, en y ajoutant les gisements potentiels issus de relevés géologiques, les réserves totales montent à 15 000 ktU (à la grosse louche), soit environ 250 ans de consommation actuelle.
Si l'on prend en compte les réserves non conventionnelles, alors il y a le temps de voir venir, sachant notamment que les océans contiennent 3 mg d'uranium par m3 d'eau, soit une ressource (et non une réserve) de 4 000 000 ktU. Notons néanmoins que les estimations des réserves non conventionnelles se font au doigt mouillé, ne connaissant déjà pas aujourd'hui les réserves conventionnelles.
La technologie de réacteur nucléaire actuellement la plus répandue utilise pour "combustible" l'uranium 235. Celui-ci représente 0,7% de la masse totale d'uranium extraite, tandis que l'uranium 238 en représente 99,3%. La prochaine technologie de réacteur nucléaire (également dite de "quatrième génération") étant capable d'utiliser l'uranium 238 comme "combustible", les réserves sont potentiellement multipliables par 100, ce qui nous met à l'abri d'une pénurie énergétique pour quelques siècles.
La question est donc la suivante : Notre mode de vie est-il négociable ? Si oui, alors il est possible de se passer de nucléaire, mais la transition sera lente, difficile  et douloureuse. Si non, à nous d'assumer la responsabilité d'une potentielle catastrophe nucléaire auprès de nos descendants.


4. Bilan

Les estimations concernant les réserves énergétiques, quelles qu'elles soient, ont toutes des marges d'erreur très importantes, mais ce n'est pas ce qui importe. L'essentiel est de prendre conscience que l'ordre de grandeur de "l'espérance de vie" des réserves énergétiques non renouvelables, dont nous dépendons principalement à l'heure actuelle, est analogue à celle d'un être humain, à l'exception de l'énergie nucléaire.
Pour autant, et malgré la relative maîtrise des risques associée à cette source d'énergie par rapports aux sources énergies fossiles, est-il vraiment souhaitable de relancer son développement en masse ?

L'on pourra se questionner sur la pertinence d'une société promouvant la croissance infinie, et disposant d'une énergie quasi-illimité à l'échelle de plusieurs générations. Il y a fort à parier que l'environnement subirait une altération irréversible et majeure, portant préjudice à cette même société. D'ailleurs, c'est peut-être déjà le cas...



Date de mise en ligne : avril 2012 
Dernière mise à jour : octobre 2013

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