Faiblesses

Pour expliciter la consistance de la contrainte énergie/climat, prenons une image arbitrairement choisie, parce que c'est une belle histoire qui me touche :
Pendant l'hiver 1930, Henri Guillaumet, pilote de l'Aéropostale et ami d'Antoine de Saint-Exupéry, est forcé de se poser en plein milieu de la Cordillère des Andes. Sans espoir de redécollage, il sait que pour survivre, il doit rejoindre au plus vite les hommes, quelques chaînes de montagne plus loin. Il n'a pas d'approvisionnement, mais il a une carte. Après 5 jours à 3000m d'altitude, et trois cols franchis, il est enfin recueilli, par un berger.
Henri aurait pu rallier sa destination après un jour et demi, s'il ne s'était pas perdu. Toujours est-il que malgré 5 jours d'efforts inouïs, il a survécu. Aurait-il choisi de rester dans l'avion, qu'il serait mort de froid avant que les secours ne le retrouvent, mais il aurait pu y croire, jusqu'à la fin.
De la même manière, hormis quelques illuminés, qui voudront y croire jusqu'au bout, nous pressentons qu'il nous faut agir pour optimiser nos chances de survie en bonne intelligence. Le parcours de la transition énergétique sera difficile, coûteux et douloureux, mais sûrement moins que si nous ne prenions même pas le départ. Il nous arrivera sûrement de nous tromper, mais c'est le risque inhérent à toute prise de décision, et cela ne doit pas être un frein à l'initiative. Surtout, cette épreuve est collective, soit nous gagnons tous ensemble, soit nous perdons tous. Alors marchons !

Certains cyniques indiqueront qu'il n'y a pas de problème qu'une absence de solution ne suffise à résoudre. C'est également vrai. Mais la manière qu'aura la réalité de résoudre notre problème ne nous plaira sûrement pas, pour les raisons décrites précédemment.


Identifier nos faiblesses

Pour rallier notre destination de la manière la plus courte possible, il faut identifier les faiblesses de notre société face à la crise énergétique et climatique à venir, et déterminer les secteurs pour lesquels chaque euro investi est le plus efficace. Voici quelques points qui m'ont semblé une bonne piste de réflexion :

1. Les croyances

1.1. La croissance

Il est grand temps de constater de manière sensible ce que le raisonnement logique nous impose : "Une croissance infinie ne peut exister dans un monde fini." Pour ce faire, penchons-nous un peu sur notre consommation :
  • Ressources non renouvelables : Il y a deux types de ressources non renouvelables. Les ressources dont le stock ne varie pas avec le temps. Et les ressources dont la vitesse de consommation dépasse très largement la vitesse de renouvellement (quelques millions d'années pour les combustibles fossiles).
  • L'humanité atteint aujourd'hui les pics de production de différents métaux (dont l'or), mais également d'autres éléments chimiques comme le phosphate (servant à fertiliser les champs). Voici une estimation des réserves restantes par métaux, à consommation constante, ce qui ne sera évidemment pas le cas.

    Source : "Quel futur pour les métaux", par Philippe Bihouix et Benoît de Guillebon

  • Ressources renouvelables : Les ressources considérées comme renouvelables ont une durée de renouvellement très courtes (la faune ou la flore), mais elles peuvent être mises en péril par une vitesse de consommation supérieure à leur renouvellement, qui impacte alors le capital d'après lequel ces ressources sont produites. La surpêche et la déforestation enrichissent ponctuellement, mais réduisent la capacité de production naturelle de produits de la mer, et entraînent appauvrissement des sols, voire désertification.
    Depuis 1986, d'après l'ONG Global Footprint Network, l'humanité consommerait plus de ressources que la Terre n'est capable d'en produire. En 2011, l'humanité aurait consommé 151% des ressources produites par la Terre en une année. Ainsi est défini le jour du dépassement global (Earth Overshoot Day), qui correspond au jour de l'année à partir duquel l'humanité a consommé toutes les ressources que la biodiversité produit en une année.
  • La croissance repose sur un indicateur tout ce qu'il y a de plus comptable : le PIB. Celui-ci ne tient aucun compte de la manière dont la richesse est créée. Cet indicateur a un énorme défaut : Il ne prend en compte que la production, et non le capital déjà présent. Deux conséquences :
    • D'une part, toute destruction qui n'entraîne pas de baisse rapide de la production participe à la croissance, puisqu'induisant des coûts de reconstruction. Un accident de la route par exemple, engendre une destruction de santé et d'environnement non comptabilisée dans le PIB, mais il induit des hospitalisations, des réparations des infrastructures, des voitures, une mise en place de panneaux de signalisation, un achat de fauteuil roulant, une aide à domicile... qui eux seront comptabilisés dans le PIB et participeront à la croissance. L'objectif de croissance du PIB justifie la destruction de l'environnement si celle-ci permet d'augmenter la production instantanée. L'environnement ayant une inertie importante, les conséquences nous arrivent retardées.
    • D'autre part, la notion de croissance implique qu'entre une année et la suivante, le PIB ait augmenté. Or le PIB n'exprime qu'une production, un flux, et non une variation de capital. Ainsi, d'une année sur l'autre, il est possible que le PIB décroisse et que le capital augmente. Il augmente alors moins fortement que l'année précédente, mais augmente néanmoins. Cette période est qualifiée de décroissance. La décroissance n'est donc pas nécessairement un synonyme d'appauvrissement.


1.2. La technologie

Le problème est cerné : Pour s’accommoder d'une raréfaction des ressources énergétiques, il faut soit trouver des ressources alternatives (non émettrices de gaz à effet de serre, qui plus est), soit diminuer notre consommation, soit les deux. Malheureusement, il n'existe pas de solution miracle de la part de la science pour maintenir notre disponibilité énergétique à son niveau actuel, malgré les affirmations suivantes :

  • "La technologie peut tout" : La technologie n'est qu'un outil, qui exploite l'énergie avec une efficacité variable. Elle est donc soumise à sa raréfaction. Elle peut bien sûr devenir plus efficiente, en terme énergétique, mais l'on assiste alors à un effet rebond : Parce que le moteur de voiture consomme moins, on se permet de l'alourdir et de rajouter des gadgets. La maison est bien isolée, alors on chauffe plus fort. Les ordinateurs consomment moins, mais on en possède plus. L'amélioration de la technologie est d'une part limitée par la physique (Impossible de faire fonctionner quelque outil que ce soit sans source d'énergie.) et d'autre part par les comportements qui évoluent. On se doit d'améliorer l'efficacité énergétique de la technologie, mais cela ne peut suffir à nous dispenser de faire des efforts.
  • Variante de la précédente : "Et le moteur à eau !" : La bonne blague. L'eau, c'est une molécule composée d'un atome d'oxygène et de deux atomes d'hydrogène. Ce sont les comburant et carburant pour les moteurs de fusée. Le seul hic, c'est que la dissociation par électrolyse de ces deux éléments nécessite une quantité d'énergie plus importante que celle qu'elle restitue par la combustion. (De toute manière, l'électrolyse de l'eau pour produire de l'oxygène est absurde, celui-ci étant déjà suffisamment abondant dans l'atmosphère pour permettre la combustion de l'hydrogène.) Si l'on considère maintenant un moteur dont la source d'énergie serait l'hydrogène, on ne fait que déplacer le problème, car l'hydrogène n'étant pas présent à l'état naturel sur notre planète, il nous faut le produire, ce qui nécessite de l'énergie, souvent sous forme électrique. Ainsi, le moteur à hydrogène n'est qu'une version déportée du moteur électrique.

  • "On va trouver de nouvelles réserves de combustibles fossiles" : Il sera peut-être possible de rendre exploitables des réserves qui ne l'étaient pas, mais en aucun cas on ne trouvera de ressources significatives, par la bête loi statistique (courbe de Hubbert à l'échelle mondiale). De plus, ne brûler que les combustibles fossiles déjà accessibles induirait une altération significative du climat. Enfin, cela ne fait que repousser le problème de la durabilité de la fourniture énergétique.
  • "Mais si, il y a le gaz de schiste qui va nous garantir l'autonomie énergétique !" :  Pour les hydrocarbures, comme pour n'importe quelle ressource, l'exploitation commence systématiquement par les réserves les plus accessibles (pétrole et gaz conventionnel), pour terminer par celles les plus compliquées à mettre en production, et donc les plus chères (gaz et pétrole de schiste, sables bitumineux...). L'actuelle exploitation massive  de gaz et le pétrole de schiste  aux États-Unis n'est pas la promesse d'un nouvel eldorado, mais au contraire, c'est la preuve d'une raréfaction générale des ressources en hydrocarbures. De plus :
    • Les puits d'exploitation de gaz et pétrole de schiste ont une durée de vie très faible, de quelques années, là où les puits d'exploitation de gaz et pétrole conventionnel en ont une de quelques dizaines d'années.
    • Le rendement des puits d'exploitation de gaz et pétrole de schiste décroît très rapidement après la mise en production, contrairement aux conventionnels. La production en gaz et pétrole de schiste ne peut donc se maintenir qu'à condition de creuser perpétuellement de nouveaux puits.
    • Mais la mise en production de nouveaux puits requiert beaucoup de ressources (métaux, eau...). Sachant que la durée de vie des puits est très faible, cette mobilisation de ressources sera rapidement stérile, tout en amputant sérieusement les moyens de développement des ressources énergétiques d'origine renouvelables.
    Le choix du gaz de schiste est une fuite en avant, qui pourra peut-être nous assurer quelques années de plus dans l'opulence, mais qui nous laissera surtout quelques années plus tard complètement démunis une fois celui-ci tari. Le tout, sans même évoquer le climat...

  • "On peut remplacer tout le combustible fossile par du nucléaire" : Cela signifie principalement remplacer tous les moteurs thermiques par des moteurs électriques. Notre consommation d'énergie finale n'étant qu'à 25% électrique, il faudrait donc augmenter fortement la puissance installée, dont les réacteurs nucléaires. Les ressources d'uranium (235) étant finies elles aussi, cela ne fait que repousser le problème. Ce n'est pas pour autant qu'il faut abandonner le nucléaire, mais il ne peut pas être à lui seul la réponse au problème énergétique rencontré.

  • "On peut remplacer tout le combustible fossile par de l'éolien et du solaire" : Intermittence, stockage, coûts élevés par kWh produits, énergie grise importante, faible puissance nominale, et déstabilisation du réseau sont autant de contraintes qui ne permettent pas d'envisager un recours massif et exclusif à ces énergies, et surtout pas dans les délais. On pourra prendre en exemple l'Allemagne ou l'Espagne pour montrer les limites d'un tel choix qui les obligent à conserver, voire à installer, des centrales thermiques pour compenser les périodes de faible production.

Il nous donc sera nécessaire de diminuer notre consommation énergétique. Cela passera par une amélioration de l'efficacité énergétique mais également par une sobriété accrue. Le principal obstacle qui nous attend est alors le suivant : Adapter notre comportement et modifier durablement nos habitudes de vie, parfois au détriment de notre confort (mais pas toujours !). Hier impensable, cette réflexion fait aujourd'hui son chemin et plus tôt elle sera intégrée, plus doucement se passera la transition.



2. Les faux bons résultats du protocole de Kyoto

La France s'était engagée par le protocole de Kyoto à stabiliser ses émissions de GES entre 1990 et 2008. La France, bonne élève, a fait même mieux, elle les a diminué de 6%.


Source : INSEE

Oui mais ! Car il y a un "mais". Les émissions de GES considérées dans le cadre du protocole de Kyoto sont uniquement celles issues du territoire national. C'est-à-dire que tous les produits que nous importons de l'étranger, et qui ont générés eux aussi des GES lors de leur fabrication, ont un impact nul sur nos émissions nationales (hors transport). De la même manière, les produits que nous exportons participent à nos émissions alors que nous n'en n'avons pas usage.
Pour diminuer les émissions de GES d'un pays, il suffit donc à ce pays de délocaliser, ou d'acheter massivement à l'étranger. Et voilà pourquoi les pays émergents, au premier rang desquels la Chine, refusent (à raison) des accords contraignants analogues à celui de Kyoto, de par leur rôle "d'usine mondiale".

Pour connaître les émissions de GES qui nous sont réellement imputables, il faut appliquer la notion de bilan carbone : "L’un des points fondamentaux de la méthode consiste à mettre sur un pied d’égalité les émissions de gaz à effet de serre qui prennent directement place au sein de l’entité et les émissions qui prennent place à l’extérieur de cette entité, mais qui sont la contrepartie de processus nécessaires à son existence sous sa forme actuelle."

Ainsi d'après le graphique suivant, en 2005 nos émissions de GES "réelles" (d'après le bilan carbone) étaient 1,3 fois plus élevé que les émissions de GES nationales (comptage Kyoto).

Source : "CO2 et activités économiques de la France - Tendances 1990-2007 et facteurs d’évolution", étude disponible sur le site du ministère du développement durable.

Aujourd'hui, la société Carbone 4 estime que les émissions "réelles" de GES par personne ont augmenté de 12,4%. Dans le même temps, la population est passée d'environ 58 millions à 65 millions. Les émissions de GES ont donc augmenté de 26% entre 1990 et 2010, contrairement à la baisse de 6% revendiquée pour nos émissions nationales. (La société de conseil en stratégie carbone Factor-X estime également que nos émissions réelles de GES ont augmenté entre 1990 et 2010, de 29% d'après leurs calculs.)



Des solutions, il y en a de nombreuses, mais d'efficacité et d'inertie diverses. Voici quelques axes de développement potentiels.



Date de mise en ligne : avril 2012 
Dernière mise à jour : septembre 2012


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